Idéologie et marché: rompre avec les évidences

2002-06-18 00:00:00

Le marché de la communication en cache bien d’autres. D’où les stratégies
de monopole et de concentration des multinationales du secteur. Seule
alternative pour la société civile : identifier les réelles richesses,
rendre visible les indices de destruction et contrer le libéralisme sur son
terrain, l’économie. L’idéologie libérale, support émergé d’un empire
financiarisé, doit se contrer sur le terrain indivisible de la démocratie,
à la fois politique, économique et sociale.

Quand Jean-Marie Messier déclare en décembre 2001, afin de justifier les
investissements de son groupe aux Etats-Unis, que “ l’exception culturelle
française est mort ” et qu’il faut laisser place à la diversité, à première
lecture, Vivendi, au même titre que Warner ou Berlusconi, semble occuper le
terrain de l’idéologie. Mais enfin, le positionnement idéologique cache
bien un investissement purement économique. Quand la Fondation Vivendi
essaime ses micro-dons auprès des associations quels que soient leurs
domaines d’activité, y compris ceux de la défense des droits ou du
développement durable, n’est-ce pas un investissement vers en directions
des territoires, pour mieux étendre son marché de l’eau, de traitements des
déchets, de transports ? Quand Universal édite les CD des rappeurs, des
chanteurs “ anti-mondialisation ”, comme des stars taillées à façon, n’est-
ce pas un moyen d’entrer de force dans les salles de spectacle, dans les
émissions TV, sur les ondes radio, dans les caves de banlieue et de
fidéliser sa clientèle actuelle et à venir, en couple ou en famille ? Quand
Vivendi-Universal publie des livres scolaires, des cdrom ludo-éducatifs,
voire des essais polémiques, des journaux – la multinationale possède une
grande part des éditions et de la presse françaises -, n’est-ce pas une
stratégie pour prendre dans ses filets plusieurs secteurs
socioprofessionnels dont la corporation des enseignants et des
journalistes? Quand Cegetel fournit la téléphonie mobile ou fixe, n’est-ce
pas une façon d’envahir l’espace public et de réguler toutes les
technologies, du câble à la fibre optique en passant par internet, ses
bandes passantes et les technologies du futur (UMTS) et par là-même
s’assurer un avenir économique et un profit maximum à court terme et sur la
durée?

Quelle offensive possible pour la société civile ?

Une priorité : rompre avec les évidences et reconsidérer les richesses. Car
si tout a un coût, il n’est pas forcément monétaire. Est-il forcément
légitime qu’un film ou une école ou encore une maternité, qui ont un prix,
soient rentable ou rentabilisé financièrement ? La production de richesses
peut se mesurer autrement : plaisir, émotion, lien social, santé,
éducation, préservation du vivant…et les coûts également. Les milliers de
morts sur les routes ou encore les cardiaques ou cancéreux des pays du Nord
rapportent plus d’argent aux multinationales pharmaceutiques, aux
bâtisseurs et aux vendeurs d’eau que la vente de journaux. Par contre, ils
coûtent en humanité, en qualité de vie, en protection de l’environnement,
en préservation de la nature. Il s’agirait donc de mesurer également, grâce
à de nouveaux indicateurs de destruction, la casse produite par
l’industrie, l’agriculture productiviste, les guerres, les violences,
l’exclusion, le chômage, la pensée unique dont les grands monopoles de
communication sont les vecteurs.

Rompre avec les évidences et reconsidérer les richesses conduit à inverser
les logiques : quand une association ou une ONG reçoit une subvention
publique, ce n’est pas elle la débitrice. Elle produit des richesses
sociales, relationnelles, environnementales… Elle devient l’opérateur d’un
l’Etat désengagé qui, d’une certaine manière, sous-traite la production de
services d’intérêt général. Si une association ou une ONG se plie à la
discipline du marché et intègre ces critères de rentabilité, elle constitue
alors l’une des pièce du gigantesque puzzle mis en ordre par le système
libéral. Comme l’explique l’économiste allemande Maria Mies, il faut
“ rompre avec le mythe du rattrapage ”. Il faut apprendre à reconnaître nos
propres compétences, nos savoir-faire et les moyens que nous mettons en

œuvre, qui ne se mesureront jamais comme la spéculation boursière ou la
rentabilité d’un capital investi. Il est urgent de valoriser ou de bâtir
des modèles économiques différents qui s’appuient sur une autre
qualification des richesses, qui identifient les facteurs de casse et
militent pour une économie à forte plus-value sociale. Il est indispensable
de rendre visible et de refuser le travail gratuit fourni par les femmes du
monde entier qui, de façon différenciée d’un continent à l’autre, assurent
tous les jours la survie quotidienne, acheminent l’eau, cherchent la
nourriture familiale, tout en reproduisant l’espèce humaine. C’est
certainement l’une des conditions majeures pour que le libéralisme ne
puisse plus exercer son diktat.

Et la communication dans tout ça ?

A cause de la prolifération des moyens de communication et de la mainmise
du système dominant sur ces outils, le contrôle citoyen de l'information
constitue aujourd'hui un enjeu majeur de la lutte contre le libéralisme.
Mettre en œuvre des initiatives économiques viables, parce qu’utiles et
d’intérêt général, en rupture avec le modèle dominant, peut constituer un
véritable contre-pouvoir. Développer des stratégies pour une très grande
visibilité de l’économie sociale et solidaire, ou encore populaire,
valoriser et promouvoir les pratiques et initiatives de ses acteurs, répond
immanquablement aux attentes de la société civile. Garder le contrôle de la
diffusion des informations, assurer le respect des libertés individuelles,
garantir le droit à l’expression et à l’information pour le plus grand
nombre, est un enjeu qui va de pair avec le droit à l’initiative
économique. Ils doivent être pensés conjointement sous peine d’échec, de
l’une et de l’autre. Ceci n’est pas affaire de spécialistes, mais de
solidarité et d’engagement citoyen.

* Joelle Palmieri, Apress

** Présentation préparée pour le Séminaire: "Communication et citoyenneté", organisé para ALAI, APC et APRESS, pendant le II Forum Social Mondial.